On a dépassé nos limites sur le Heaphy Track
- Kevin et Isabel
- 20 mars 2024
- 11 min de lecture

Nos corps n'étaient pas prêts pour ça. Pendant cinq jours, on a randonné sur l'Heaphy Track, un des dix Great Walk de Nouvelle-Zélande, situé sur la côte ouest de l'île du sud. Au programme, près de 80 kilomètres de marche en cinq jours et des nuits en cabane. Avec chacun un sac à dos comportant des sacs de couchage, de la nourriture pour cinq jours et des vêtements de rechange, on s'attaque à un des plus gros défis de notre voyage.

Jour 1 : de Brown Hut à Perry Saddle, 17,5 km en 6h40
Le réveil est très matinal pour prendre un minibus en direction de notre point de départ. Il nous lâche vers 11h15 sur place, avec une première portion de 17,5 km. Pour les faire, il faut compter environ cinq heures, en montée constante à faible pourcentage. On laisse vite passer les différents groupes devant nous pour pouvoir progresser à notre rythme. Après une heure de marche, dans la forêt, on trouve un banc malheureusement déjà occupé. Tant pis, on s'en trouvera un de fortune un peu plus loin pour faire notre pause déjeuner (le petit dej est déjà loin à ce moment-là). On repart, rattrape certains groupes, qu'on relaisse passer plus tard. La marche n'est pas forcément difficile mais la faire chargés et sans avoir idée du temps qu'il reste rendent la tâche plus compliquée. Heureusement, le beau temps est de la partie, ce qui nous offre, quand la forêt le permet, des panoramas sur la montagne sur notre gauche.

On aperçoit notre premier weka, la version diurne du kiwi, en beaucoup moins rare. Une petite pause sur un banc, le dernier endroit avec du réseau avant cinq jours, et on continue l'ascension. On s'autorise un petit détour pour atteindre le plus haut point de la randonnée, le Flanagans Corner, à 915 m d'altitude. Un petit panneau (un des seuls de la journée), nous annonce alors 30 minutes pour arriver à notre cabane. La fatigue n'aidant pas, il nous en faudra un peu plus. L'arrivée est un vrai soulagement pour nous, après une longue journée de marche. On fait partie des derniers arrivés, la plupart des occupants est déjà en train de dîner. Quand on parle de cabane, il faut imaginer une sorte de chalet, avec une grande cuisine commune, un dortoir avec des lits superposés pour une capacité d'environ 30 personnes. Un peu de confort et de réconfort donc.

Peu de temps après notre arrivée, Paul, le ranger, prend le temps de discuter avec tout le monde, pour savoir si tout va bien, connaître un peu les programmes de chacun et évoquer la suite de la route. il annonce de la pluie pour le lendemain, avec un vent de plus en plus fort. De la pluie, il en était déjà question pour notre premier jour. Mais quand quelqu'un lui demande si c'est possible de passer une nouvelle fois au travers, la réponse du ranger ne laisse pas beaucoup de place au doute, il pleuvra pour notre deuxième jour. Petit moment sympa au moment de notre discussion avec Paul, il nous apprend qu'il est passé à Bordeaux l'année dernière. Il a évidemment aimé. Après notre premier dîner, des nouilles instantanées (on est loin de la street food asiatique...), on reste un peu dans la salle commune pour jouer, à la lueur des petites lumières à détecteur de mouvement installées au plafond, on se met en quête - vaine - d'un kiwi et on va se coucher dans un dortoir déjà animé par quelques ronflements.
Jour 2 : de Perry Saddle à Saxon Hut, 12,4 km en 4 heures
Après une nuit plus ou moins confortable, marquée par des douleurs musculaires, on prend le temps de se réveiller. Il est 7 heures et tout le monde est déjà debout. On s'était endormis avec une nuit claire et des millions d'étoiles, on se réveille avec de la pluie et une faible visibilité sur les montagnes. Alors on traîne, en se demandant si ça va passer. On n'a que 3h30 de marche programmée donc on se dit qu'on peut attendre un peu. Mais Paul le ranger nous rend visite et nous indique qu'il va pleuvoir toute la journée, avec de plus en plus de vent. Vite, on s'active pour faire nos sacs, on enfile nos chaussures, doudounes et manteaux. On se regarde un peu en riant. Le contraste est saisissant avec le petit t-shirt de la veille. En marchant, on se dit que si le temps reste le même, ce n'est pas si terrible. Il ne tombe que quelques gouttes qui nous touchent presque horizontalement à cause du vent.

Evidemment, la plupart du chemin semble à découvert. Mais on trouve qu'on s'en sort bien. On a deux heures de marche jusqu'à une première hut pouvant servir d'escale. Sur le trajet, on traverse quelques petits ruisseaux et parfois de plus grandes rivières. Pour celles-ci, des ponts ont été construits. Elle paraissent tout de même franchissables à gué. On arrive même à s'arrêter quelques secondes pour profiter des petites cascades le long du chemin. Après plus d'une heure de marche, le poids du sac se fait sentir. Mais, contrairement à la veille, impossible de s'arrêter sous peine de mouiller nos affaires. Alors on se pousse et on est finalement récompensés par la vue de la Gouland Downs hut. Avec une météo comme celle-ci, ce refuge est un arrêt bienvenu le temps de reprendre ses esprits au sec. Le temps de manger quelques amandes et d'échanger avec un couple de néerlandais, on repart de plus belle, entre deux rafales. On se dit qu'1h30 sera bien plus facile que les deux premières heures. On a évidemment tort... A partir de là, la pluie augmente et s'arrête rarement. Alors qu'on traverse une vallée, elle redouble même d'intensité.
Si je vois Kévin grimacer derrière moi, les gouttes ruisselant sur mon visage et la vue sur les collines couvertes d'herbes orangées donnent un vrai sentiment de liberté. Rapidement, mon pantalon trempé et le poids du sac me font basculer dans l'équipe de Kévin. La vue lointaine de la Saxon hut nous motive mais elle nous paraît presque inatteignable. Enfin, nous y voilà ! On se dépêche d'accrocher les protections de nos sacs pour pouvoir se mettre au sec. On est accueillis par une vague de chaleur en poussant la porte du refuge. Et par plus d'une dizaine de personnes dans une petite cabane. Rapidement, l'endroit se vide car, pour beaucoup, l'étape finale se situe à Mckay hut (à trois heures de marche). On entend même un frère et une sœur s'encourager avant de repartir affronter le track et la pluie. On se retrouve avec pour seule compagnie quatre dames proches de la retraite. Elles nous ont gentiment allumé un feu pour qu'on puisse sécher nos affaires et se réchauffer. En regardant par la fenêtre, on est entouré par le brouillard, la pluie et le vent. Six, seuls au monde. Passer une après-midi en hut est une expérience. On perd toute notion du temps et on apprend à ralentir. On joue, on échange avec nos colocataires du jour. A un moment, le ciel semble se dégager et on aperçoit quelques montagnes.

Juste après le dîner, une dame ouvre la porte pour aller aux WC. Quand, soudain, elle nous fait de grands gestes ! Le moment qu'on espérait tous se réalise enfin : une famille de takahes nous rend visite. Jusqu'en 1948, on pensait ces oiseaux éteints. Découverts sur l'île du sud, il sont désormais environ 500. C'est un des oiseaux les plus rares à voir à l'état sauvage. Et nous, on a la chance de les voir manger et gambader devant nous, avec leur beau plumage irisé et leur gros bec rouge orangé. Un moment hors du temps. Puis la nuit tombe. Notre refuge n'a pas d'électricité donc c'est à la bougie et à la lumière de nos lampes frontales que nous jouons aux cartes avant d'aller nous coucher.
Jour 3 : de Saxon Hut à McKay Hut, 11,8 km en 3h20
Après la pluie vient le beau temps. La nuit a été plus calme que redouté, on est prêt à repartir sous un grand ciel bleu. Difficile de croire qu'il pleuvait la veille. On est les premiers de notre cabane à prendre la route. Après quelques minutes de marche, on aperçoit des whio, des canards bleus, espèce endémique en voie de disparition.

Le chemin est encore mouillé, parfois boueux sans ralentir pour autant notre progression. On est quand même un peu surpris du parcours du jour car on ne s'attendait pas à monter "autant" alors que le profil de cette journée semblait indiquer un chemin plutôt descendant. Un peu comme la veille, on est souvent à découvert sans risquer d'être mouillé cette fois. Cela laisse le temps de profiter de ces grandes étendues et de leurs couleurs.
Après 1h30 de marche, un petit panneau indique deux kilomètres avant l'arrivée. Si le premier kilomètre passe très vite, le deuxième semble interminable. Et quand on se croit arrivé, on se rend compte qu'on doit encore fournir un ultime effort pour atteindre notre hut. A seulement midi, on est les premiers à prendre place dans la cabane. On a le luxe de pouvoir choisir notre chambre et nos lits. Le tout en profitant du calme et de la vue, avec au loin la mer.

Après une petite pause déjeuner, nos "colocataires" de la hut précédente nous rejoignent et choisissent la même chambre que nous. On décide alors de prendre un peu de hauteur et de monter vers un point de vue pour mieux apprécier l'endroit. De là, une vue imprenable vers notre logement mais aussi et surtout la montagne et la mer. A notre retour, la cabane s'est déjà bien remplie. Commence alors la routine du soir, avec le dîner à préparer, la vaisselle, discuter avec les différents randonneurs. Avant de pouvoir assister à un magnifique coucher de soleil, aux couleurs rosées, prometteuses pour le lendemain. On repart en (petite) quête d'un kiwi, encore une fois sans grand succès.

Jour 4 : de McKay Hut à Heaphy Hut, 20,4 km en 6 heures
Vu qu'aucune météo ne nous a été donnée par le ranger, on est ravi de découvrir le même ciel bleu que la veille. Cette quatrième journée débute par notre réveil le plus matinal jusqu'à présent : 6h45. Après un petit déjeuner et le rangement de nos affaires, on se met en route avec un peu d'appréhension. Après deux journées courtes, on reprend avec la plus grande distance du track. Notre premier objectif est d'atteindre Lewis Hut. Située en bas de la montagne, elle semble être l'endroit idéal pour notre déjeuner. Cette partie du trajet se situe dans la forêt, qui ressemble un peu à une jungle. Elle est parfois si dense qu'on marche dans la pénombre. Au fur et à mesure que l'on descend, on découvre des nouveaux chants d'oiseaux. La flore évolue énormément également, avec notamment des fougères géantes, typiques de la West Coast. L'arrivée à Lewis Hut est à la fois un soulagement et une surprise. On ne pensait pas arriver si vite ! On est récompensé par des vues sur la Heaphy et la Lewis river ainsi que sur les longs ponts suspendus qui les traversent.

Après un déjeuner similaire à ceux des jours précédents, on prend la direction des ponts. La couleur des rivières est un marron tirant vers le doré sur ses rives. Rapidement, on s'enfonce à nouveau dans la forêt. 2h30 et huit kilomètres nous séparent de la dernière hut. Le chemin est une alternance entre forêt et ponts. Mais, au fur et à mesure qu'on avance, les arbres qui nous entourent se transforment en immenses palmiers et la forêt semble encore plus pleine de vie. Tout un tas d'oiseaux vole au-dessus de nous. Des fantails, des toutouwai, d'autres de couleur jaune. Et toujours autant de weka... On longe la rivière qui grossit de plus en plus en gardant son éternelle couleur marron. Soudain, on aperçoit le signe "Hut, 1 km". On n'arrive pas à y croire mais ça arrange bien mon épaule et mes mollets. Quel dernier kilomètre ! On a des vues sur la Heaphy river se jetant dans l'océan. C'est d'ailleurs sur cette vue que donne notre refuge du soir. Arriver au bord de l'eau après quatre jours de montagne semble assez incroyable.

On choisit rapidement nos lits et on file se balader le long de l'eau. La plage, bordée de falaises recouvertes de palmiers, nous donne l'impression d'être seuls au monde. Pourtant, il y a d'autres randonneurs avec nous. Mais son immensité et la puissance des vagues font nous sentir petits et loin de tout. On avance un peu plus pour trouver un phoque en train de dormir tranquillement sur le sable presque chaud. D'un coup, il décide qu'il est temps pour lui de retrouver l'océan. On s'amuse à le regarder regagner la mer péniblement, avant de filer comme un poisson dans l'eau.

Je décide d'aller tester l'eau à mon tour. Après quatre jours de marche, sans douche, enfermés dans des chaussures, mes pieds sont ravis de pouvoir marcher nus sur le sable. Ils sont en revanche moins ravis de découvrir à quel point l'eau est glacée. De retour à la hut, on est rassuré d'apprendre par le ranger que nous n'aurons pas à planifier notre dernière journée en fonction des marées. La hut est très bruyante à cause d'un trio néo-zélandais qui semble trouver son jeu de cartes hilarant. On part chercher un peu de sérénité sur la plage au moment du coucher du soleil. Le ciel orangé et rosé nous offre un magnifique spectacle pour notre dernière nuit. Avant de se coucher, on part à la recherche des introuvables kiwis. Recherche toujours infructueuse.

Jour 5 : de Heaphy Hut à Kohaihai, 16,2 km en 4h50
Le réveil matinal est fixé à 6 heures. Au total, 16,2 km nous attendent, pour un trajet estimé à 5 heures. On n'a pas trop le droit à l'erreur car un bus nous attend à 13h30 pour retourner à Nelson. Donc pour s'éviter tout stress, on quitte la hut en premier, à 6h30. La forêt est si dense pour nos premiers pas qu'on est obligé de s'éclairer à la lampe frontale. Heureusement, le soleil fait rapidement son apparition pour nous accompagner le long de la plage.

On doit attendre une vingtaine de minutes pour voir les premiers bouts de plage et l'océan, toujours aussi impressionnant par ses vagues et leur bruit. Au bout d'une heure de marche, on décide de faire un premier arrêt pour prendre nos barres céréales de petit déjeuner. La pause n'excède pas les cinq minutes, la faute aux sandflies, ces petits moustiques aussi insupportables que leur piqûre. Il nous faut attendre environ 45 minutes pour faire une pause digne de ce nom, à un premier refuge sur la route. C'est d'ailleurs là qu'on est rejoint par un premier groupe parti de la même hut que nous. Après s'être arrêté une quinzaine de minutes, on repart, profitant toujours de cette vue privilégiée sur les différentes plages qui se succèdent. Le tout dans une forêt tropicale, où de nombreuses feuilles de palmiers jonchent le sol.

Le parcours reste plus compliqué que ce qu'on attendait, avec notamment de nombreuses petites montées. Il est un peu casse-pattes alors qu'il était annoncé comme plat. Sauf pour la fin, avec une dernière difficulté pour la route. Une dernière côte pour ensuite redescendre vers Kohaihai, notre destination. En plein effort, on commence à croiser des groupes dans l'autre sens, venus se balader. Tous ont un petit mot d'encouragement, de sympathie, comprenant qu'on est proche du but. Un petit détour vers un dernier point de vue sur la plage, l'océan et une bonne partie de ce qu'on vient de parcourir et on termine notre dernière étape en moins de 5 heures, une bonne surprise pour nous. On retrouve quelques visages qu'on connaît, on mange puis on attend le bus, pour un retour qui semble interminable vers Nelson. Mais avec des sentiments de fierté et du devoir accompli.

De retour à Nelson, on file à notre logement pour récupérer la clé de la chambre et faire notre check-in. On sympathise rapidement avec des françaises, le temps de partager un pudding au chocolat, offert par notre hébergement. On prend alors le chemin de la ville pour notre récompense après tant d'efforts : un burger. Sur le chemin du retour, on tombe, par hasard, sur cinq personnes ayant fait la randonnée en même temps que nous. Ils nous proposent de boire un coup avec eux. Le coup se transforment en plusieurs verres, partagés entre souvenirs du Heaphy Track et autres voyages. Alors qu'ils partent pour une soirée de folie, on fait l'impasse, impatients de dormir dans un vrai lit. Au réveil, on se rend compte qu'on partage notre dortoir avec un couple d'Hollandais croisé lui aussi sur la route. On discute brièvement, en se disant que le monde (en l'occurrence Nelson ici) est vraiment petit. Au-delà de la performance physique, on a aussi vécu une aventure humaine.
Un périple plein d'aventures ! On se croirait dans un épisode de koh lanta version rando. Les moments de pluie, les ponts suspendus, la quête éternelle du kiwi 👻... Bravo pour avoir défié les éléments avec détermination et combativité, et partagé cette expérience avec autant de passion !💪 #RandonnéeÉpique